Le Football américain en Europe: Un instrument du progrès social

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Flash de la Cournueve 1

Entrée sur le terrain du Flash de La Courneuve.

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Par: STAFF
Traduit par: Lorenz Plassmann

 

Le Football américain en Europe n’en est qu’à ses balbutiements. Certes, de nombreux clubs existent depuis la fin des années 1970, on compte aujourd’hui plus de 1500 équipes réparties dans 40 pays sur le continent, tandis que la popularité de ce sport grandit rapidement au sein de toutes les différentes cultures. Mais la plupart des équipes n’en sont qu’au stade de développement.

Déjà, le coût des équipements indispensables au bon fonctionnement des équipes, tant au niveau des infrastructures que pour les joueurs, reste très élevé. L’accès au terrain est en priorité réservé à d’autres sports comme le football ou le rugby, ce qui est particulièrement frustrant. Pour ceux qui gèrent les terrains, le Football américain ne représente qu’une broutille. Par ailleurs, la culture dominante d’autres sports, avec cet inaltérable attachement au football et au rugby, rend l’Europe encore imperméable à l’influence de ce sport extraordinaire. Les sports nationaux plongent profondément leurs racines dans des allégeances culturelles, et l’Europe ne fait pas exception. Pas étonnant, dans ces conditions, que parmi les meilleurs athlètes en devenir du continent, presque aucun ne souhaite renoncer aux promesses offertes par les sports dominants que sont le football et le rugby, pour rejoindre ce jeune mouvement.

Comment se fait-il, dans ces conditions, et alors que presque toutes les équipes de Football américain en Europe en sont encore au stade de développement, qu’une équipe de Vienne pleine d’ambition professionnelle ait choisi de reverser des centaines de millers de ses précieux euros aux victimes de violence domestique ? Pourquoi en France, dans un pays où le Football américain est généralement bien présent et très compétitif, une équipe a-t-elle consacré d’importantes ressources pour créer un internat afin d’accueillir des jeunes défavorisés de Tahiti, lesquels vivront une expérience profonde en venant à Paris pour jouer au Football américain avec leurs soeurs — oui, leurs soeurs —, et leurs frères français ? Pourquoi dans la lointaine contrée d’Eidsvoll, en Norvège, un coach a-t-il décidé de fonder une organisation à but non lucratif afin de créer une équipe de Football américain dans les bidonvilles de Nairobi ?

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Les Vienna Vikings font partie des plus grandes équipes d’Europe, rivalisant saison après saison au sein de la Ligue autrichienne avec les meilleures équipes, et terminant aux premières places. Lorsqu’on lui demande quelles sont ses ambitions pour l’équipe, le président des Vikings, Karl Wurm, s’étonne presque de cette question et répond immédiatement : « Etre la meilleure équipe d’Europe, bien sûr. »

Check presentation at the 2014 Charity Bowl in Vienna, Austria.

Présentation du chèque lors de l’édition 2014 du Charity Bowl à Vienne en Autriche. (Nutville/Austria)

Chaque année depuis 1999, cependant, les Vikings organisent un match, le Charity Bowl, dont les bénéfices sont reversés à des oeuvres caritatives, les premières bénéficiaires étant des organisations viennoises dédiées aux victimes de violence domestique. Plus de 40.000 personnes ont assisté aux 17 Charity Bowls. Cette année, le match verra s’affronter deux des plus grandes équipes européennes, les Vienna Vikings et les Schwäbisch Hall Unicorns. Le montant total déjà reversé dépasse largement les 135.000 euros. Si l’on prend en compte le temps consacré, l’énergie dépensée et le budget attribué par les Vikings pour organiser, promouvoir et réaliser ces matches chaque année, il apparaît clairement que ce montant, déjà remarquable en soi, ne reflète pas complètement tous les sacrifices consentis par les Vikings pour cette noble cause.

Les Vikings veulent être la meilleure équipe d’Europe, l’équipe incontestée, dans un avenir proche, mais en même temps ils dépensent une énergie, de l’argent et des ressources très précieux pour des causes qui ne semblent pas du tout liés à cette ambition. S’ils agissent ainsi, explique M. Wurm, c’est parce que « les grandes organisations ont une grande responsabilité sociale ». Cette approche est désintéressée et vraiment admirable.

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Une autre grande équipe européenne, le Flash de La Courneuve, fait des merveilles dans la périphérie de Paris. Le general manager de cette équipe, M. Bruno Lacam-Caron, décrit combien « l’esprit qui sous-tend ce projet du Flash est de bouleverser la vision des choses, briser les stéréotypes, défier les préjugés ». Le club du Flash met cet esprit en action de multiples façons.

Flash de La Courneuve 2

Essayage d’équipment pour l’équipe féminine du Flash (FlashFootball.org).

Déjà, le Flash est l’un des premiers clubs de Football américain de France à avoir créé une équipe féminine. Selon M. Lacam-Caron, il y a encore 3 ans, le Flash avait à peine assez de joueuses pour monter une équipe. Aujourd’hui, ce sont plus de 40 joueuses qui sont inscrites sur la liste de l’équipe féminine du Flash — on y compte une avocate, une fonctionnaire de police et 5 enseignantes, parmi tant d’autres professions représentées. Ce succès a donné l’exemple, et des équipes féminines ont éclos à travers toute la France. En 3 ans de promotion du Football américain féminin, ce sont près de 7 équipes qui s’affrontent aujourd’hui rien que dans l’agglomération parisienne, et il est prévu que ce chiffre dépasse la vingtaine l’année prochaine. M. Lacan-Caron décrit avec enthousiasme la passion de ces Françaises pour ce sport et jubile de voir le Football américain en Europe être devenu un sport mixte.

Par ailleurs, puisqu’il est apparemment « interdit » pour un club de Football américain en Europe de faire don d’équipements à un autre club, le Flash donne les équipements qu’ils n’utilisent plus à un club qu’ils affectionnent particulièrement, les Golden Eagles, en Côte d’Ivoire. Le club de La Courneuve y envoie avec ses équipements des coaches pour entraîner les coaches des Golden Eagles, le tout, gracieusement.

Le Flash est aussi en train de créer un internat pour faire venir des joueurs de Tahiti en France, où ils pourront être scolarisés et jouer pour le club — là encore, gratuitement. Cela s’apparente à un programme de bourse créé par M. Lacam-Caron, déjà prévu pour 5 Tahitiens, avec un financement qui devrait bientôt permettre à 5 autres jeunes de venir.

Peut-être que l’exemple le plus parlant de l’action du Flash pour contribuer au changement social est le nouveau diplôme aujourd’hui en cours de création. Le Flash travaille activement avec des professeurs d’université, des fonctionnaires de police, des éducateurs professionnels et des psychologues afin de mettre en place un environnement d’étude et un diplôme inédits, pour les éducateurs sociaux comme pour les éducateurs sportifs. Le programme d’étude se concentrera sur la diversité, la conscience internationale et les sensibilités culturelles. L’objectif de ce cours d’étude est de contribuer à « bouleverser les choses afin de faire progresser le vivre-ensemble », comme le dit M. Lacam-Caron, décrivant le but sous-jacent de tous les acteurs du club.

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M. Greg Kleidon, un enseignant qui coach les Eidsvoll 1814 en Norvège, a également fondé une organisation à but non lucratif, la Golden Leaf Academy. C’est encore lui qui décrit le mieux ce club impressionnant : « Notre objectif principal est le développement de la jeunesse. Nous cherchons à apporter aux jeunes athlètes les connaissances et les bases appropriées pour qu’ils développement et conservent un mode de vie sain et positif. Notre slogan — « Sois actif » — nous résume parfaitement. Il signifie être actif au sein de la société, dans la famille et sur le terrain. Nous voulons que chacun fasse jaillir le meilleur de lui-même, et nous pensons qu’avec les directives et encouragements de nos coaches et de nos préparateurs mentaux, c’est quelque chose que nous pouvons réaliser. »

The Mighty Nyati of Nairobi, Kenya.

Les Mighty Nyati de Nairobi au Kenya.

Mais les ambitions de M. Kleidon et de la Golden Leaf Academy dépassent très largement les Eidsvoll 1814 et la jeunesse norvégienne. Un projet en cours s’adresse à l’une des jeunesses les plus défavorisées au monde. En banlieue de la ville de Nairobi se trouve un des bidonvilles les plus vastes et miséreux qui aient jamais existé — Kibera. L’objectif à court terme de la Golden Leaf Academy est de créer une équipe de jeunes à Kibera, et plus important encore, de connecter cette équipe à celle des Mighty Nyati, une équipe senior liée à l’Université de Nairobi. Non seulement les jeunes de Kibera bénéficieront de leur participation à une équipe de Football américain dynamique et compétitive, mais ils seront également directement connectés à l’université, un lien qui représentera une motivation supplémentaire pour exceller dans les études, afin de réaliser le rêve de poursuivre des études supérieures.

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J’ai eu le plaisir de discuter avec MM. Wurm, Lacam-Caron et Kleidon. Je peux témoigner du fait que ces gentlemen sont des dirigeants qu’il faut prendre le temps d’écouter, et dont il faut tirer des enseignements. La manière dont ces hommes utilisent le Football américain pour réaliser leurs ambitions sociales et humanistes en fait de véritables exemples, et rend leur équipe encore plus redoutable sur le terrain. Unis par une même bienveillance envers l’humanité, ils rivalisent aussi sur le terrain avec force.

Pourquoi les Vienna Vikings, le Flash de La Courneuve et les Eidsvoll 1814, parmi tant d’autres équipes de Football américain en Europe, sont-ils devenus des exemples probants d’organisations combinant ambition professionnelle et conviction morale de très haut niveau?

C’est peut-être parce que le Football américain est unique en son genre, parmi les sports d’équipe, en ce sens que chaque position de jeu nécessite un profil très spécifique, aussi bien sur le plan physique que mental. Qui que vous soyez, il y a une place pour vous dans une équipe. Depuis le kicker jusqu’au defensive tackle, les qualités athlétiques et mentales requises sont exceptionnellement variées. Les exigences particulières du Football américain en tant que sport d’équipe expliquent en partie pourquoi en Europe ce sport est de plus en plus utilisé comme vecteur de changement et d’amélioration sur le plan social, en terme de diversité, mais aussi de tolérance et de coopération culturelle.

C’est aussi peut-être parce que ce sport est secondaire, ici en Europe, évoluant dans l’ombre des géants que sont le football et le rugby. Chaque équipe de Football américain sur le continent s’est battue, à un moment ou à un autre, ne serait-ce que pour pouvoir avoir accès à un terrain, toujours réservé en priorité aux clubs de football et de rugby. Le Football américain en Europe, par nature, attire les outsiders parce que ceux qui écrivent l’histoire sont ceux qui vont à contre-courant de la culture populaire, et qui dépassent les limites. Dans la vie, les personnes défavorisées savent ce que c’est que se battre pour conquérir ce que d’autres obtiennent naturellement. Il n’est donc peut-être pas si étonnant qu’un sport, considéré dans son ensemble comme le parfait outsider aux côtés des géants du football et du rugby, développe une plus grande conscience des inégalités et des disparités qui imprègnent la vie moderne.

Quoi qu’il en soit, des équipes comme les Vienna Vikings, le Flash de La Courneuve et les Eidsvoll 1814 évoluent à un niveau beaucoup plus profond et significatif que la simple compétition sportive — elles agissent pour rendre le monde meilleur pour nous tous. Ce qu’elles réalisent hors du terrain pour unir toutes sortes de gens, dans un effort commun vers le bien, nous protège de manière tangible et immédiate. Nous devrions saluer ces exemples, non seulement par respect, mais aussi avec un profond sentiment de reconnaissance.

Ces équipes ne doivent cesser de servir d’exemple pour nous tous, de transmettre la passion, la camaraderie, la tolérance, l’abnégation, et l’esprit d’équipe. Continuons de nous inspirer d’un tel leadership, ainsi que du vrai progrès social qu’elles accomplissent, à travers ce sport merveilleux.